Du concile de Latran IV à l’autodafé de 1288 : l’exclusion des Juifs en Champagne méridionale.
En développant de manière plus particulière notre réflexion sur un comté, la Champagne, nous souhaitons valoriser une présence hébraïque sous l’angle de la spécificité. Cette entité, jadis rayonnante autour du célèbre talmudiste Rachi au XIIe siècle, subit les aléas de son époque, dominée par une Chrétienté, soucieuse de son message éternel. En effet, un des plus grands conciles du Moyen Age, se déroulant en la Basilique du Latran, permet au monde occidental d’insuffler un nouvel élan à son message, au détriment des Juifs. Nous sommes en 1215, date à laquelle les princes de l’Eglise obligent les Juifs à porter la rouelle, pièce vestimentaire, signe d’une exclusion de bons nombres de royaumes occidentaux.
Du latin exclusio, l’action d’exclure signifie chasser d’un territoire un individu, tout en prenant soin de lui enlever certains droits. Notre propos s’intéresse aux Juifs, c’est-à-dire des personnes ayant une religion et des pratiques différentes de celles la société chrétienne, dans laquelle ils se trouvent. Bien évidemment, l’analyse de ce rapport permettra de comprendre la manière par laquelle les Juifs se trouvent mis au ban de la société médiévale. La question délicate qui se pose concerne le droit. En effet, dans une région où les pratiques coutumières font force de loi, il s’agit de cerner le plus exactement possible, ce qui définit les pratiques des Juifs et ce qui les interdit tant du côté du prince que du côté de l’Eglise.
L’historiographie récente a développé une réflexion intéressante autour de l’expulsion des Juifs de France en 1394. Selon Gilbert Dahan, « L’expulsion des Juifs de France de 1394 a beaucoup moins marqué les esprits que celle de 1306 »[1]. Pourtant, l’axiome de la recherche s’est cantonné en cette fin de XIVe siècle. Rappelons que cette mise au ban des royautés occidentales survient après de multiples autres comme celle de 1182. En France, à cette date, Philippe Auguste promulgue un décret d'expulsion contre la population juive ; il faut dire que le souvenir qu’il garde de ce groupe est mauvais, selon Rigord [2]. Il faudra attendre la fin de l'année 1198 et contre l'opinion de ses conseillers, pour voir de nouveau Philippe Auguste autoriser le retour des juifs. Ce retour est motivé par certains évènements comme la lourde défaite royale devant Richard d'Angleterre, en 1198 à Gisors[3].
Il est temps maintenant de cerner l’exclusion des Juifs dans le comté de Champagne, région de droit coutumier, aux frontières du royaume de France. Généralement, en tant que Juif, pour être exclu dans cette société féodale champenoise, il faut réunir plusieurs conditions sur lesquelles nous porterons notre attention. Comment passe-t-on du statut de juif protégé à un statut d’expulsé ? Analysons ce processus long, qui conduit les Juifs à être protégés avant le concile de 1215, puis rejetés par la société chrétienne, tout en vérifiant si ces Juifs ont été réellement contraints au départ, avant d’étudier les incidences de ce concile.
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[1] Dahan, G., (dir.), L’expulsion des Juifs de France en 1394, Paris, 2004, p. 7.
[2] Chazan, M., Medieval Jewery in Northern France, Baltimore, 1973, p. 65-69.
-Delaborde, H., Oeuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, Paris, 1882, p. 181. Expliquant l’extorsion de 1181, Rigord relève que Philippe Auguste avait les Juifs en horreur. Et pour cause, cela remonte à son enfance selon l’auteur (p. 15), les Juifs tuaient chaque année un chrétien, en sacrifice. Reposant dans l’église du Saint-Innocent aux Champeaux, saint Richard aurait été tué par des Juifs, puis cloué sur une croix Audierat enim multoties qui cum ipso pariter in palatio fuerant nutriti, et hoc sine obliteratione memorie commendaverat, quod judei qui Parisius manebant, singulis annis christianum unum, in oppobrium Christiane religionis, quasi pro sacrificio, in cryptis subterraneis latentes in die Cene, vel in illa sacra Hedomada Penosa, jugulabant ; et in hujusmodi nequitia diabolice fraudis diu perseverantes, tempore patris sui multoties deprehensi fuerant et igne consumpti. Sdanctus Ricardus, cujus corpus quiescit in ecclesia sancti Innocentii in Campellis Parisius, sic interfectus a judeis et cruci affixus, feliciter per martyrium migravit ad Dominum : ubi ad honorem per preces et per intercessiones sancti Ricardi multa miracula, ipso Domino operante, facta fuisse audicimus.
[3] Chazan, M., Medieval Jewery in Northern France, Baltimore, 1973, p. 174.