L'obituaire de Saint-Etienne
Les travaux de J-L Lemaître permettent d’apprécier l’intérêt historique des obituaires[1]. En effet, outre la date d’anniversaire de la mort du personnage, qui peut être sujette à caution, leur apport dans les études historiques est indéniable. Initialement, l’obituaire est un registre mortuaire sur lequel a été inscrit le jour du décès des personnes pour lesquels l’établissement doit prier. L’obituaire de Notre-Dame-aux-Nonnains en est le parfait reflet[2]. Il est utile de rappeler que les donateurs sont soit des laïcs soit des ecclésiastiques. En effet, la mention d’abbés et de religieux ayant soutenu l’établissement religieux est révélatrice d’appuis dans la sphère religieuse. Les anniversaires des rois, des reines et des comtes permettent d’apprécier la contribution nobiliaire. De surcroît, la mention d’épouses ou de filles fournit à l’historien de précieuses indications chronologiques et sociologiques. Malgré tout, nous sommes confrontés à une énorme difficulté. En effet, les rédacteurs des obituaires successifs de Notre-Dame-aux-Nonnains ont tendance à compiler les nécrologes, ne permettant plus de distinguer très clairement les donateurs d’époque médiévale de ceux d’époque moderne. À cet écueil, nous ne pouvons faire face.
De conception différente, l’obituaire de Saint-Étienne est plus informatif et donc utilisable pour notre recherche. Contrairement au précédent, ce registre est élaboré puis conservé dans l’état de fabrication et d’écriture initiales depuis 1279. L’obituaire fait partie d’un recueil de documents de mains différentes. Parmi ces pièces documentaires, l’obituaire a été réalisé au cours des années 1279-1290, à la demande du sous-doyen de la collégiale, Gui d’Aunay[3]. Ainsi apparaissent dans ce livre de compte, des distributions d’argent faites aux chanoines à l’occasion des services religieux pour l’année 1279-1280, en mémoire d’une personne dont la nature du don est indiquée.
Le chanoine chargé de la rédaction du livre de compte dresse pour chaque mois un tableau sous la forme d’un calendrier avec des colonnes. La première contient en abrégé l’indication, c’est-à-dire le jour de la semaine. Tandis que la seconde colonne mentionne les personnes célébrées quotidiennement, ainsi qu’une information sur la nature de la contribution. Enfin, la troisième colonne révèle le montant des sommes distribuées à cette occasion.
Cette ultime disposition est déterminante pour appréhender le fonctionnement de la collégiale. En effet, les revenus de la collégiale ne forment pas une seule masse financière, consignée en un compte unique. À l’image de ce qui se passe pour le chapitre cathédral de Troyes, les revenus du chapitre de Saint-Étienne sont divisés en camerae ou chambres. Chacune de ces chambres est confiée à un camerarius ou bien un officier comptable, chargé des recettes et des dépenses. Élu par le chapitre tous les ans, bien souvent maintenu à ses fonctions au regard de ses capacités, le chambrier doit rendre des comptes au chapitre. Une fois réalisée, l’audition des comptes se doit d’être validée par les auditeurs qui émargent en bas du compte. Nulle trace n’existe pour le XIIIe siècle, ces registres débutent seulement en 1387[4].
On voit cependant apparaître, dans l’obituaire de 1279-1280, les prémices de cette comptabilité où sont consignées les dépenses dont bénéficient les chanoines. Trois catégories semblent se dégager, toutes servant à l’office des morts.
La Chambre des Partitions représente 60 % des distributions ; la Chambre Extraordinaire, destinée aux processions pour les défunts, reçoit 26,4% des distributions, tandis que l’office du sous-doyen exercé par Gui représente 13,6 %. Comprenons par distribution, tout don en nature le plus souvent, parfois en argent, fait aux membres des chapitres qui se montrent assidus au chœur et dans la mesure exacte de leur assiduité.
Observons la place du sous-doyen en tant que personne, qui reçoit des biens et des rentes de son vivant pour célébrer ses offices funèbres. Une fois le sous-doyen décédé, ses revenus alimentent la Chambre des Partitions, d’après une comparaison avec les obituaires du XIVe siècle[5].
Les distributions quotidiennes sont les plus importantes. Outre celles effectuées pour l’office quotidien en pain et en vin, rarement en deniers, il y a les distributions pour l’office des défunts. Très rarement, elles mentionnent des processions qui s’arrêtent un temps en un lieu de culte pour y réciter des prières et des antiennes, auquel cas des distributions supplémentaires ont lieu révélées vers la Chambre extraordinaire. Les anniversaires sont forts nombreux à Saint-Étienne. Le fondateur d’anniversaire laisse au chapitre une somme d’argent dont les revenus sont distribués aux chanoines assistant au service proprement dit ou aux heures de l’office du jour d’anniversaire : en conséquences, ces distributions sont toujours en espèces.
Il n’est pas rare de trouver de nombreux détails non seulement sur la généalogie des personnes citées mais aussi sur le statut religieux des personnes ; ces informations se révèlent fortement utiles. Par ailleurs, les fondations pieuses doivent être analysées. En effet les legs de biens pour un anniversaire à perpétuité permettent à l’historien d’apprécier la diversité du contenu testamentaire. Ce contenu a été enregistré sous forme de 443 fiches dressées informatiquement. 129 d’entre-elles concernent le temporel urbain de la collégiale Saint-Étienne. L’ampleur des donations pieuses, couplée à d’autres sources, comme le cartulaire, permet de disposer d’informations sociologiques conduisant à une localisation de cette donation, se traduisant par une expression cartographique.
Suite dans la rubrique Publications
[1] Lemaître, J-L, Marot, P. (dir.). Répertoire des documents nécrologiques français, Paris, 1980-1992, p. 521.
[2] Bibl. nat., lat. 9894.
- Barthélémy, E., de, « Obituaire de l’abbaye de Notre-Dame-aux-Nonnains de Troyes », dans Revue de Champagne et de Brie, t. XI, 1881, pp. 369-456.
- Lalore, C., Collection des principaux obituaires et confraternités du diocèse de Troyes, Troyes, 1882, p. 11-12 et p. 417-445.
- Boutillier du Rétail, A., Pietresson de Saint-Aubin, P., Obituaires de la province de Sens, t. IV, Paris, 1923, p. 349-366.
[3] Médiathèque de Troyes, ms. 365 et publié par Longnon, A, (dir.), Diocèse de Meaux et de Troyes, dans Obituaires de la province de Sens, Paris, t. IV, 1923.
- Lemaître, J-L., Marot, P., (dir.). op. cit., n° 1120, p. 526
- Lalore, C., Collection des principaux obituaires et confraternités du diocèse de Troyes, Troyes, 1882, p. 10 et 213-249.
- Boutillier du Rétail, A,. Pietresson de Saint-Aubin, P., Obituaires de la province de Sens, Paris, 1923, t. IV, p. 444-445, p. 449-479.
[4] Arch. dép. Aube, 6 G 1039.
[5] Boutillier du Rétail, A., Pietresson de Saint-Aubin, P., op. cit.,. t. IV, p. 451, note 5.