La vallée de la Reine : Bar-sur-Seine lieu de naissance de Jeanne de Navarre au XIIIe siècle.

    Évoquer Jeanne de Navarre pour les Barséquanais c’est faire mémoire d’une personne qui s’est illustrée dans l’Histoire de France et dont le lieu de naissance a posé problème. Tantôt les Barséquanais revendiquent le fait qu’elle soit née dans notre chère vallée de la Seine, faisant preuve de chauvinisme à défaut d’en avoir la preuve, et tantôt nos voisins Baralbins s’approprient le lieu de naissance, quoi de plus prestigieux ! Il faut préciser que différencier Bar-sur-Seine de Bar-sur-Aube n’est pas une démarche aisée dans le sens où bon nombre de copistes médiévaux n’opèrent que très rarement cette distinction. C’est la raison pour laquelle il nous a semblé impérieux de faire un état des lieux de ce personnage en évitant bien sûr tout romantisme et toute querelle de clocher, si tant elles ont pu exister. Offrir à tout à chacun ce dont nous disposons sur Jeanne de Navarre c’est permettre, selon nous, une mémoire collective infaillible sur laquelle bon nombre de raisonnements peuvent se fixer.Comprenons par la dénomination accolée au prénom de Jeanne, le rayonnement d'une institution : le Collège de Navarre, dont la comtesse est la mécène, justifiant le fait que la mémoire collective ait associé la politique de mécénat à son doux prénom. Très peu d'ouvrages se sont penchés sur Jeanne de Navarre, rares sont les articles, signalons celui de Jean-Marc Roger, jadis conservateur des Archives Départementales de l'Aube, qui a osé resituer Jeanne dans la Lignée des comtes de Champagne[1].

 

Sigillographie ou bien la science du sceau au secours de nos représentations mentales

 

    Au cours de mes pérégrinations archivistiques, il m’a été permis de lire un certain nombre d’actes des comtes de Champagne dont certains sont scellés, c’est la raison pour laquelle je vous restitue la représentation de Jeanne de Navarre grâce au sceau.

-Original du sceau, Châlons-en-Champagne, Arch. dép. Marne, 19 H 2. L’acte offre dans sa partie inférieure un sceau en navette mesurant 87 mm de hauteur et 51 mm de largeur[2]. De couleur verte, le sceau est attaché au parchemin par l’entremise de lacs de soie rouge et verte. La qualité du support qui permet d'apposer le sceau tend à montrer la richesse de cette chancellerie. Effectivement, en utilisant de la soie, matériau noble par excellence, la chancellerie palatine valorise sa richesse et reproduit à l'identique ce qui est en usage à la chancellerie papale et royale. En se démarquant de ses seigneurs, lesquels utilisent du parchemin ou encore de la cordelette de chanvre, la comtesse fait état de la puissance de sa chancellerie et contribue de cette manière au rayonnement de sa cour palatine.

Il s’agit du plus vieux sceau conservé, à notre connaissance, et qui concerne Jeanne de Navarre. Il est apposé en bas d’un acte de confirmation de divers acquêts au profit de l’abbaye d’Igny[3].

-Original du sceau, Paris, Arch. nat., S4955, sceau en navette 105 x 72 de Jeanne de Navarre en bas d’un acte de février 1295 (v. st.). La reine confirme avec son époux, Philippe le Bel, les bien détenus en fief et arrière-fief par le frère Itier de Nanteuil, maître de la Maison Dieu Saint-Jean de Jérusalem.

-Original du sceau, Troyes, Arch. dép. Aube ;

1. 42 H 5, sceaux de Philippe le Bel et de Jeanne de Navarre sur un acte de 1294. Le sceau de Jeanne est en navette, à l’image du précédent, mesurant 102 mm de hauteur et 65 mm de largeur. Il repose sur des lacs de soie rouge et verte, le tout englobé par une cire de couleur brune. Il est déterminant pour notre explication qui va suivre.

-13 J 8, sceaux de Philippe le Bel et de Jeanne de Navarre sur un acte de 1295. Une fois encore, le sceau est en navette (82 mm x 60 mm), tenu au parchemin grâce à des fils de soie rouge et verte. L’objet est de couleur brune. Sur cet objet, nous pouvons lire l’inscription suivante « JOHANNE DEI GRATIE NAVARRE ET BRIE COMITISSE PALATINA » ou alors Jeanne, reine de Navarre et comtesse palatine de Brie par la volonté de Dieu.

Le fait, que les deux personnes scellent de leur propre empreinte, les affaires courantes de la Champagne, témoigne bien de la distinction qui existe entre la Champagne d’une part et le royaume de France d’autre part.

    Le sceau de Jeanne de Navarre n’est pas sans rappeler celui de son ascendante ; Marie, fille de Louis le Jeune, roi de France, et femme du comte Henri le Libéral. En effet, Marie inaugure un style sigillographique en usage à la Cour de Champagne, repris par la suite par sa descendante Blanche de Navarre en 1222. Ce style est le suivant ; la comtesse est représentée debout, avec une couronne sur la tête symbolisant le comté de Champagne[4]. Cette couronne semble être accompagnée de bandelettes qui font le tour de la tête de ces personnes féminines pour mieux fixer l’objet sur la tête et valoriser l’aspect esthétique de la femme. La comtesse est vêtue d’une robe serrée à la ceinture, ce qui ne l’empêche pas de disposer d’un manteau  de vair disposé sur ses épaules tenu par l’entremise d’une fibule. La féminité est à son paroxysme. Toutefois, Jeanne à la différence de Marie et de Blanche est représentée sous une niche gothique flamboyante, témoignant de la sorte l’œuvre architecturale dont est à l’origine Henri Ier : le palais des comtes de Champagne avec sa collégiale Saint-Étienne accolée. Sur les montants de cette niche, à dextre sont représentés les armoiries de Navarre tandis qu’à senestre celle de Champagne.

    Insistons sur l’idée suivante : à savoir que les comtesses ; Marie et Blanche, Jeanne de Navarre tiennent toutes dans leur main droite une fleur de lys : réminiscence de cette ascendance royale issue du mariage d’Henri le Libéral à Marie de France, fille de Louis VII et d’Aliénor d’Aquitaine en 1153.

    Observons également, la main gauche de Jeanne qui est au niveau de sa poitrine, tenant au creux de celle-ci l’objet de son pendentif c’est-à-dire un bijou en forme d’étoile. Ne faut-il pas voir par le biais de ce symbole un élément biblique celui de la Nativité mais également de la Vierge Marie, celle qui engendre Jésus-Christ ? Le contre-sceau laisse apparaître un écu divisé, élément chevaleresque et viril par excellence, symbole des conquêtes passées pour le comté de Champagne et le royaume de Navarre. La partie gauche permet de s’identifier au royaume de France par la présence de la fleur de lys tandis que la partie droit invite l’observateur à observer les armoiries du royaume de Navarre dans la sphère supérieure et celle de Champagne pour la partie inférieure. En effet, les armoiries de Navarre constituent un meuble en forme de chaînes disposées en orle et en escarbouche pour mieux symboliser ce petit royaume. Tandis que les armoiries de Champagne laissent apparaître un demi écu d’azur à la bande d’argent accompagné non pas de cotices mais de galons d'or et de soie. Ces mêmes galons, nous les avons retrouvé sur les vêtements de l’évêque Hervé, celui qui vécut à la fin du XIIe siècle et qui participe à la croisade activement. Rappelons que la ville de Jérusalem a été perdue en 1187, mais que le royaume perdure tant bien que mal grâce à des points fortifiés comme la cité de Tyr, le Krak des Chevaliers. En répondant à l’appel d’Innocent III, en 1199 l’évêque prend son bâton de pèlerin à la suite de personnages illustres tel Richard Cœur de Lion (1192), Henri de Champagne décédé accidentellement en septembre 1197[5]. L’évêque participe à sa manière à cette reconquête du tombeau du Christ laissé aux mains des infidèles de l’époque.

    Ayant été enterré dans le chœur de la cathédrale, il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour que le corps de ce prélat soit exhumé. Force est d’observer ce qui est amené à devenir des cotices, ce ne sont que tout simplement des galons, véhiculant de la sorte l’image d’une Cour à la mode byzantine. Cette dernière sait exalter une culture du vêtement et s’en approprier les bienfaits par l’entremise des croisades : lieu d’échanges et de prospérité en tout genre. Déjà, nous retrouvons le charisme de deux personnes : celle de l’évêque troyen Hervé, dont nous évoquerons son passé prestigieux mais aussi celui du comte Henri Ier dit le Libéral. Concluons sur l’idée qui est la nôtre à savoir que Jeanne est représentée comme élément féminin en opposition totale aux us et coutumes de l’époque où l’héraldique privilégie les écus froids et guerriers qui attestent de la virilité du porteur, ici le sceau privilégie un être sensuel qui règne à la Cour de Champagne.

Nous pouvons retrouver des informations sigillographique sde manière fortement incomplètes aux côtes suivantes :

-Coulon, A. Inventaire des sceaux de Champagne conservé aux Archives Nationales, Paris, 1906. Une copie de l’œuvre de Coulon existe aux Arch. départ. Aube, sous la côte 4 Mi 94 R 1, p. 10, classeur 1.

-Arch. départ. Aube, NA 837/Z/n°1 et 842/Z/n° 10 à 13 : moulages de sceaux et contre-sceaux en plâtre de Jeanne de Navarre.

 L’état de nos connaissances de cette personne illustre

    Reine de Navarre et de France, elle meurt le 2 avril 1305 au château de Vincennes. Fille d’Henri III de Champagne, roi de Navarre, elle devient comtesse de Champagne à la mort de son père en 1274. Cette jeune fille est sous la tutelle de sa mère, qui confie la réalité du gouvernement à son cousin le roi de France Philippe II en 1275.

Mariée au futur Philippe le Bel le 16 août 1284, alors qu’elle avait à peine 12 ans, elle se marie à Philippe qui n’en a que 16. Elle devient reine de France à l’avènement de celui-ci en 1285. Mère de six enfants, dont trois fils seront rois ; Louis X, Philippe V et Charles IV, et deux futures reines ; Marguerite, mariée à Ferdinand IV de Castille, et Isabelle, mariée à Édouard II d’Angleterre. Quelle lignée prestigieuse pour une personne dont les historiens peinent à prouver le lieu de naissance …

            Jeanne de Navarre laisse à son mari le soin de faire gouverner la Navarre par ses gens, mais elle s’occupe personnellement du comté de Champagne. Son entourage parisien est constitué à la fois de Champenois et de Normands. Enguerrand de Marigny, Normand, initialement panetier de la Reine dès 1295, devint vite chambellan du roi, jouant de la sorte un rôle politique non négligeable. C’est à lui que nous devons l’instruction du procès de l’évêque de Troyes, Guichard, pour sorcellerie, bien connu des troyens et des historiens médiévistes. Uni dans le mariage même après la mort de Jeanne, son épouse, Philippe le Bel refusera de se marier. Rappelons que par son testament, la reine a fondé le Collège de Navarre, institution prestigieuse qui témoigne du mécénat comtal.

En effet, ce Collège de l’Université de Paris est fondé en 1304 par Jeanne de Champagne pour y recevoir gratuitement des étudiants pauvres. Ces successeurs ont accru par leurs donations pieuses les biens de cette institution qui fut supprimé en 1790 et dont il reste quelques bâtiments affectés à partir de 1805 à l’Ecole Polytechnique.

Représentations de Jeanne de Navarre

            Ce travail d’inventaire est indispensable pour perpétuer une mémoire, c’est la raison pour laquelle nous vous le formulons afin que le commun des mortels puisse selon son bon vouloir effectuer un travail d’érudition. Les lieux de conservation ainsi que les côtes sont soigneusement relevées ; ils sont le fruit d’un patient dépouillement de nos plus hauts lieux de conservation. Cela ne signifie en aucune manière que ce dépouillement est définitif, au hasard des pérégrinations, il est possible de le compléter.

 

A.Bibl. nat., estampes, costumes Oa 10 :

 

            -n° 175 : portrait représentant une princesse tenant un petit chien dans ses bras. On lit en bas cette inscription : « Jeanne, reyne de Navarre, comtesse de Champagne, femme de Philippe IV roy de France dit le Bel morte en 1304 ». Ce dessin est tiré d'un vieux pastel dont nous ignorons la provenance et sa date. Il a été reproduit aux crayons de couleur au commencement XVIIe siècle, f° 45.

            - n° 176 : statue de reine portant une chapelle et placée dans une niche sur une console armoriée. Nous pouvons lire « Joanna Franciæ et Navarræ regina, Campaniæ Brie que comes palatina has ædes fundavit 1304 »[6]. Cette pièce documentaire est tirée du collège de Navarre de Paris. Il s’agit d’un dessin lavé au f° 46.

 

B. Bibl. nat. estampes, costumes Oa 11

 

            -n° 262 : une estampe représente la princesse en position debout. Il est effectué à partir du tombeau de l'abbaye de Saint-Denis à une date non connue. Nous sommes en présence d’un dessin lavé, f° 39.

            -n° 263 : il s’agit d’une figure de la reine réprésentée également debout. Ce travail a été réalisé à partir d'un tombeau conservé dans l’église des Jacobins de Paris à une période que nous ne conaissons pas. Une fois encore, le dessin lavé représente Jeanne au f° 40.

 

Lieu de naissance de Jeanne de Navarre

    Après cet inventaire, nous pouvons dorénavant effectuer une réflexion, laquelle s’intéresse plus particulièrement à cette illustre personne royale et comtale, n’oublions pas qu’elle est comtesse palatine de Champagne. Grâce à un procès conservé à la Bibliothèque Nationale, nous pouvons non seulement préciser quelques éléments de jurisprudence médiévale mais également enrichir notre cité barséquanaise de quelques pans entiers de notre histoire.

Dans sa pure sollenité, la chancellerie retrancrit le procès tel qu’il s’est déroulé au sein de la cathédrale de Troyes. La langue latine introduit brièvement la procédure d’enquête, témoignant de cette manière que cet usage langagier est non seulement le privilège du clergé mais aussi des légistes. Toutefois, le champenois ou bien langue vernaculaire est usité quotidiennement, se distinguant de la sorte du jugement puisqu’il s’agit de la procédure d’enquête. Cette distinction sybilline offre au lecteur une saveur inégalée sur des pratiques coutumières courantes en Champagne.

B. Cartulaire de l’Église de Langres de 1329, Paris, Bibl. nat. lat., 5188, intitulé Chartularium Ecclesiæ Lingonensis, f° 2 v°-3 v°.

(0) Juguesta sive informatio super Etate predicte Johanne. (1) Anno divino M° CC° octogesimo tertio sabbato predicte (2) Remiste inquesta sancta per . [7]. damnum de falcui quondam (3) comitem Pantini et per magistrum Guillelmus de Poilli, prepositum Prisulem super etate (4) heredis Campanie et oc consuetudinem Campanie ad quam etate comitella (5) possit facem homagium : teste isti recepti super etate comitisse Campanie ?[8] (6) Li Archediacres de Blooiz jurez dit per son sairement requis  don quel aaige la (7) dame de Champagne est : die que il etait quele est antree au douziesme (8) an et le croit par ce que onze anz ont entre Noel et la Thiephaine no-(9)-valement passe, que il aloit a Lions du commandement le Roy, et sors de (10) Reyne gisoit de ceste fille a Bar sur Saigne[9]. Li marechauls de Cham-(11)-paigne, tesmoins, dit per son sairement : ont onze ans a la sainte Hylane novalement (12) passee, et le fait par ce que il la leur defons. Jacques Derin tesmoins jures dit (13) par son sairement : que la damoiselle ont onze ans a la huictaine de Noel qui (14) passa novalement, et le fait par ce quil fu le premiers homs qui la vit. Adiz (15) de Gerualme, chartulae, dit par son sairement que la damoisele ont onze anz XV (16) jours devant la chandeleur novalement passee, et dit que il la vit baptisier (17). Aalis, dame du Bois, tesmoin juree, dit par son sairement : que entre Noel et la  (18) Chandeleur novalement passe ont onze anz, que ele estoit a Troies en ete, (19) or les novales que la damoisele estoit nee a Bar sur Saigne. Micheauz de (20) Bar sur Saigne, tesmoin jurez, dit : que par sairement que il croit que la demoisele de  (21) Champaigne ont onze ans aus vint jours de Noel ou a la Chandeur pas-(22)-see novalement, et le fait par ce que li abbe de Monstier Arramey dist au (23) mareschaut de Champagne en lostel a celui qui passerons, avons une bele (24) fillole. Jehanz Betassiers dessone tesmoin jurez dit par son sermant : que il ont  (25) onze ans aus vint jours de Noel novalement passee, que la damoisele (26) ont onze ans, et dit que lors courroit li carnation par LXXII. Reniers Acourre, (27) tesmoin jurez, dit par son sermant : que la demoisele ont onze anz au chief des XX (28) jours de Noel novalement passee ou lendemain des vint jours, et le fait par (29) ce que lors li Rois Henriz le manda guerre. Gomgez de Sezanne tesmoin jurez (30) dit par son sermant que la demoisele hont onze anz au chief des XX jours  (31) de Noel novalement passee, et le fait par ce que il la vit baptisier. Belos-(32)-siers Dormoi, tesmoin jurez, dit par sairement : que la demoisele environ les XX (33) jours de Noel ont onze anz ele fu nee, et le fait par ce que il estoit au Roy (34) Henri, et estoit a Troies ou il a dire les novales que la Reyne estoit (35) acouchie. Testes super consuetudine ; le marechaut de Champagne, ma-(36)-dame du Rois, monseigneur Gile de Brion, le seigneur Darcies[10], maistre (37) Anseaul de Mont Agu, le prevost de Paris, le vidame de Chaalons ; (38) Gonlart, monseigneur Pierre de la Male Maison, Jacques Derui, maistre Estienne (39) Dasnieres, le doyen de Bar sur Saigne ; Jehan de Recasie, Jehan Desso-(40)-ne, le prevost de la vile Vienne ; Monseigneur Guerrait Dangnisi chartulae, Mile de (41) Ferreux chartulae, Renniers la Courre, monseigneur Guillemain de Coissi, monseigneur de Blois (42) chartulae, Adamz de Suigni chartulae, Maistre Jeghan ; clerc au Bailli de Senz, maistre (43) Estienne Becart, Jehan de Bernon, Symon de Concasseur, monseigneur Robert (44) de Thorote, larcediacre Daucuerre, le seneschaul de Champaigne (45) ; maistre Jehan de Taille Fontaine, Florenz de Roye. Testes recepta us-(46)-trum sit consuetudo. Campaniae quod mulier quod complerunt undecimum (47) annu, et intravit duodecumum passit faste homagium et recepte homa-(48)-gia a vassalis. Monseigneur Gile de Brion chartulae dit ou non de loin et de (49) touz les autres tesmoin jurez et en leur presence : que cest costume de la (50) contree de Champaigne, et pour tout heritage le conte de Champaigne de cinq, que (51) il le tieigne que fame que ele ha onze anz acompliz et est entre au douziesme, (52) on puet faire hommaige envers ses seigneurs et recevoir ses hommaiges, et (53) ainsi lont vehu user en plusieurs cas sans contredit, tout nait ele pas (54) le douziesme an accompli. Et ce li haut tesmoigne tint li autre et (55) aggree par leurs sermenz. In cujus rei testimonium nos predicti : Johannes dominus de (56) Saloni quondam comes Pontisnii, et magistre Guillermus de Poilly, preposita (57) Insulem que dictam inquesta ad requisitionem reverendi in Christo primo (58) Guidonis dei gratia Lingonis, et Guillemin Antis episcoporum, Robert illustris ducis (59) Burgundie, at venerabilis prioratoris, Mathias eadem gratie sancti Dionisii in Francia co-(60)-ram quibus de predictis cognito contabatus. Cartae feodorum suorum fecimus presentibus (61) nobis religioso viro : G., abbate Sancti Stephani divinos, magistri Hugone de Armanto ; canonico Ancerris, et Hugone de Castro ; canonico Brunacem legus (62) professore. Sigilla nostra presentia inqueste duximus apponenda. Actum pan anno et die predictis. si nous traduissons cela donne cela :

    Enquête informative sur l’état de la dite Jeanne. Fait en l’an de grâce mil deux cent quatre vingt trois, notifié le samedi de l’enquête sainte donné par nous .X., interrogé selon la volonté du comte de Pantin et par Guillaume de  Pouilly, préposé d’Illes, sur l’état d’héritage de la comtesse Champagne et selon la Coutume de Champagne sur la possibilité de la comtesse de faire hommage. Ainsi, un certain nombre de témoignages ont été reçus sur l’état de la comtesse de Champagne :

  • L’archidiacre de Blois a juré et formulé sous serment, voulu par nous enquêteurs, que la dame de Champagne est entrée dans la douzième année. Il le croit parce qu’elle avait onze ans entre Noël et la Thiéphaine, nouvellement passée, alors qu’il se déplaçait pour Lyon à la demande du roi. Au cours de ce voyage, il vit la fille sortir de la Reine et cela à Bar-sur-Seine.
  • Le maréchal de Champagne, également témoin, formula sous serment que la comtesse a bien onze ans à la sainte Hélène, nouvellement passée. Il fait ce serment parce qu’il la défend.
  • Le témoin Jacques Derruy jure sous serment que la dame a onze années à la huitaine de Noël, nouvellement passée. Il fait ce témoignage car il fût le premier homme à la voir.
  • Par sa charte, Alix de «  Gerualme » formule par serment que la damoiselle a effectivement onze années les 15 jours avant la Chandeleur nouvellement passée. De plus, elle la vit se faire baptiser.
  • Alix, dame du Bois, également témoin, jure et formule sous serment, que la dame a bien onze ans entre Noël  et la Chandeleur nouvellement passée par ce qu’elle était à Troyes durant la saison d’été et fut affectée de cette nouvelle à ce moment là.
  • Le témoin Micheauz de Bar-sur-Seine jure et prête serment qu’il croit que la demoiselle de Champagne a onze années aux alentours de la vingtaine de jours de Noël ou de la Chandeleur, nouvellement passée. Il fait ce témoignage parce que l’abbé de Montiéramey dit en la demeure du maréchal de Champagne, que le comte avait une belle petite fille.
  • Le témoin, Jean Bétassiers d’Essonne, jure et dit sous serment que la comtesse a onze ans aux vingt jours de Noël nouvellement passé en l’an de l’Incarnation 72 (1272).
  • Par son serment, René Accorre jure que la demoiselle a onze ans au début des 20 jours de Noël, nouvellement passé ou au lendemain. Il le fait parce que le roi, Henri, l’appela à la guerre.
  • Georges de Sézanne, témoin également, jure et dit sous serment que la demoiselle a onze ans au début des 20 jours de Noël nouvellement passé. Il le fait parce qu’il la vit se faire baptiser.
  • Le témoin, Belossiers d’Ormoy, jure et dit sous serment que la demoiselle a onze ans aux 20 jours de Noël car elle était née. Il fait ce témoignage parceque le roi, Henri, était à Troyes pour dire la nouvelle que la Reine avait accouché.

    Selon la coutume, les témoins sont : le maréchal de Champagne, madame du Roi, monseigneur Gilles de Brinon, le seigneur d’Arcis, maître Ansel de Montaigu, le prévôt de Paris, le vidame de Châlons ; Gonlart, monseigneur Pierre de Malmaison, Jacques « Derui », maître Etienne d’Asnières, le doyen de Bar-sur-Seine, Jean Recasié, Jean d’Essone, le prévôt de la ville de Vienne, monseigneur Guerret d'Agny par sa charte, Milon de Ferreux par sa charte, René Accorre, monseigneur Guillaume de Coissi, monseigneur de Blois par sa charte, Adam de « Suini » par sa charte, maître Jean ; clerc au bailli de Sens, maître Etienne Becart, Jean de Bernon, Simon le Concasseur, monseigneur Robert de Thourotte, l’archidiacre d’Auxerre, le sénéchal de Champagne, maître Jean de Taillefontaine, Florent de Roye. Nous avons reçu cela en témoignage selon la coutume.

En Champagne, la femme, qui a onze et entre dans sa douzième année, peut faire et recevoir les hommages de ses vassaux.

Monseigneur, Gilles de Brinon, dit par sa charte que les témoins jurés de près ou de loin que la Coutume de la contrée de Champagne est en vigueur depuis le cinquième comte de Champagne. Si la personne noble a une descendance féminine et qu’elle a onze ans et entre dans sa douzième année, on peut lui faire hommage[11] et elle peut recevoir des hommages de ses seigneurs. C’est ainsi, on l’a vu  se faire en plusieurs cas sans aucune contradiction et cela même si la personne n’a pas douze ans. Et les témoignages tenus ci-dessus sous serment sont d’accord.        Dans tous les cas de figure, nous disons que Jean, seigneur de Salon qui est comte de Pontigny, et maître Guillaume de Pouilly, préposé d’Illes que la dite enquête à la demande du révérend père dans le Christ, Gui, évêque de Langres, et Guillaume archevêque, Robert, illustre duc de Bourgogne et vénérable prieur de Saint-Denis en France, nous avons eu et portons à la connaissance de tous. Nous avons fait sa charte des fiefs qu’elle nous a présenté à nous religieux et que je vis G., abbé de Saint-Etienne, maître Hugues « dArmant », chanoine d’Auxerre, Hugues de Château, chanoine Bruno ; professeur en droit. Cette enquête a été scellée en notre présence et nous avons fait apposé notre sceau. Fait en l’an susdit et le jour ci-dessus.

 

Quel est le contexte ?

    En 1278, le comté de Champagne appartenait à Jeanne de Navarre, alors mineure, et était tenu en bail par Edmond de Lancastre. L’héritier présomptif de la couronne, Philippe le Bel, étant fiancé avec la jeune comtesse, l’autorité royale s’immisça dans la juridiction comtale. Cette année-là, à côté des barons champenois et des baillis qui composaient les Grand Jours, apparurent deux commissaires envoyés par le Parlement de Paris : Anseau de Montaigu : (ligne 36 Anseaul de Mont Agu), et Florent de Roye (ligne 44 Florenz de Roye). Rappelons qu’Edmond, comte de Lancastre, appelé également le comte Haymon, est le fils du roi d’Angleterre Henri III et d’Éléonore de Provence, neveu de la reine-mère Marguerite de Provence, laquelle est née le 16 janvier 1245. En épousant en secondes noces, en janvier 1276, Blanche d’Artois, veuve d’Henri le Gros, comte de Champagne, Edmond de Lancastre devint ainsi le parâtre de Jeanne de Navarre. Le même mois, il prête hommage à Philippe le Hardi pour le comté de Champagne. Certes, il s’en occupa peu, c’est la raison pour laquelle il confia le gouvernement à Jean d’Acre. En devenant majeure en 1284, la jeune Jeanne de Navarre contraint Edmond de Lancastre à quitter, à cette même date, le bail de la Champagne.

Quel est l'intérêt du document ?

    Nous sommes en présence d’une enquête par turbes, nom dérivé du latin turba signifiant foule. La procédure est réalisée en audience publique, elle fait suite à une procédure. Cette dernière prend en compte les témoignages de personnalités grâce à des actes émanant de chancelleries : ce sont les « chartulæ » qui se trouvent mentionnées ici et là. À ces chartes lues publiquement, le juge fait appel aux témoignages à haute voix de personnalités qui se sont déplacées pour les besoins de l’enquête. Par le biais de cette procédure, il est permis d’apprécier des points litigieux sur lesquels les personnalités sont amenées à se prononcer pour permettre au juge de constituer un point coutumier, ce dernier faisant force de loi à partir du moment où le point litigieux a été éclairci.

    Cette enquête par turbes complète un jugement qui s’est déroulé à Troyes. Ce dernier concernait Jean de Brienne dit Jean d’Acre, deuxième fils de Jean de Brienne, roi de Jérusalem et empereur régent de Constantinople. À cette époque et plus précisément en 1278, s’est posé comme problème l’âge à partir duquel le seigneur pouvait recevoir un hommage. Il est apparu, à la lumière de la procédure, qui s’est déroulée à Troyes, que la dame de Molins-sur-Aube était majeure à l’âge de 11 ans et de ce fait pouvait recevoir l’avouerie, dont elle était l’objet.

    Rappelons que Jean d’Acre, après avoir été bouteiller de France en 1258 auprès de Saint-Louis, puis titulaire d’ambassade auprès du pape Grégoire X en 1272, fut chargé par Edmond de Lancastre d’être la baillistre (tuteur délégué) du comté de Champagne durant la minorité de Jeanne, et de gouverner le comté en son nom. La jugesta de Jeanne de Navarre complète la pratique coutumière de Champagne. Elle valorise un des aspects du jurisconsulte au Moyen Age, c’est-à-dire pour que soit déclarée comme valable, une pratique coutumière doit être validé dans le domaine des vassaux qui le concerne par un acte signé. La jurisprudence de 1278 n’a pas été validée par les vassaux, d’où cette procédure supplémentaire visuelle et textuelle, où apparaissent non seulement les vassaux mais également les baillis royaux. Ainsi, à la cession des Grand Jours de Champagne, qui se tiennent à Troyes en novembre 1284, apparaissent vingt-huit personnes et plusieurs autres soit de manière directe soit de façon allusive. Ces Grand Jours sont composés uniquement de champenois, présidés par l’officier qui garde la Champagne pour le comte, ici Jean de Joinville, accompagné de quelques légistes : les baillis. Le rôle de ces baillis est consultatif, ils permettent de répondre à des appels interjetés contre les sentences prononcées par les magistri. Ce tribunal que nous appelons les Grand Jours se tiennent à Troyes trois fois par an aux grandes fêtes religieuses, parfois ils se déroulent à la cathédrale[12]. Les membres de cette cour ne sont, en aucune manière, élus, ils sont désignés. Cette méthode de désignation remonte à 1270 lorsque le comte avait besoin de conseils et se faisant les conseils deviennent par volonté comtale force de loi. Observons la volonté nouvelle d’associer la noblesse, selon son rang, aux décisions de justice au sein de la chancellerie palatine champenoise. Apprécions toutefois que la décision de justice appartient au comte en dernier ressort. En effet c’est de la main du comte qu’émane toute justice. Une hiérarchie se fait jour, sous la présidence du gouverneur Jean de Joinville, quatre catégories de juges apparaissent :

- Une douzaine de magistri parlamenti ; qu’ils soient clerc ou laïque venus de Paris.

- Deux abbés de la région : celui de Montiéramey, ayant été chapelain du comte Thibaud V, et celui de Montier-en-Der.

- Six barons et vavasseurs[13] de Champagne.

  • Quatre officiers ou anciens officiers du comté ; Vincent de Pierre Chastel, ancien chancelier ; René Accorre, receveur général : Guillaume d’Alemant, bailli de Troyes ; Hugues de Chaumont, ancien bailli de Vitry.

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    Nous sommes en présence d’une procédure d’enquête informative qui concerne deux informations à la lumière des pratiques coutumières ; d’une part l’état de la personne et d’autre part l'hérédité de la comtesse de Champagne. De cette procédure informative découlent des questions essentielles affectant l’administration du comté de Champagne que nous vous dévoilons dorénavant : peut-on faire hommage à Jeanne de Navarre et peut-elle recevoir l'hommage en tant que comtesse de Champagne ?L'enjeu a été précisé plus haut ; c'est le comte de Lancastre qui voudrait retarder la majorité de Jeanne. Le roi de France lui oppose une décision prise par le comte de Brienne en 1278 et qui a concerné une dame de Molin-sur-Aube pour laquelle on avait reconnu la majorité des 11 ans révolus en désaccord avec les vassaux qui se trouvaient vraisemblablement lésés par cette décision. Toutefois, cette décision a fait jurisprudence, c’est pourquoi elle est invoquée par le comte de Champagne pour l'appliquer a Jeanne.Ironie des faits : la décision avait été prise a l’époque pour favoriser Jean de Brienne, roi de Jérusalem. En 1284 elle est invoquée par le roi de France pour priver le même Jean de Brienne dit Jean d’Acre de la poursuite de la gestion du comte de Champagne au service d'Edmond de Lancastre.Observons qu’à plusieurs reprises au cours des dépositions, une référence à Noel est monnaie courante. Ce référencement temporel se révèle être non seulement une garantie de la qualité de l’acte mais par ailleurs un souci d’exactitude étant donné que la fête est fixe contrairement à bon nombre d’autres fêtes religieuses mobiles sujettes à caution pour une datation. L’aspect sacré de cette fête invite le témoin à ne point mentir en invoquant Noel.

Bien sûr les témoignages sont de qualité, il ne faut qu’apprécier le degré de cléricature pour ne point douter de ces derniers. Ainsi l’archidiacre de Blois jure que Jeanne est bien dans la douzième année lorsqu’il la vit parce qu'il allait a Lyon à la demande du roi entre Noel et l'Epiphanie. Or, il ne fait l’ombre d’un doute que pour aller à Lyon il prit la vallée de la Seine pour se rendre à ce rendez-vous.Le maréchal de Champagne dit en jurant qu'elle a onze ans à la sainte Hélène. On ne pourrait blasphémer sur le corps de cette sainte nouvellement arrivée dans le diocèse en 1220, dont l’évêque Hervé en a la charge spirituelle et dévotionelle à Constantinople. Rappelons qu’en 1218, Milon, comte de Bar-sur-Seine, accorde au chapitre cathédral le droit d'aller de tailler et d'extraire des pierres de sa carrière d'Aigremont[14]. A la mort de l'évêque Hervé en 1223, la restauration de la cathédrale est bien avancée : Hervé a réalisé son projet d'agrandissement du sanctuaire avec la construction du chevet, des chapelles rayonnantes, du déambulatoire, des collatéraux, du chœur et des quatre piliers du côté ouest de la première campagne de construction, de 1208 à 1220. L'appel des prélats a donc été entendu : les offrandes recueillies au lendemain de l'installation des reliques byzantines, issues du pillage de Constantinople en 1204, ont permis le financement des travaux. Mais le 10 novembre 1228, un nouveau désastre frappe la cathédrale : un ouragan dévaste le sanctuaire et fait s'effondrer une partie de l'édifice que l'on venait de rebâtir[15], « l’église Saint-Pierre tomba toute en ruine et par miracle l’image du Sauveur et le corps de ; sainte Hélène qui se trouvèrent sous les ruines ne furent aucunement endommagés »[16]. Ne faut-il pas percevoir par le biais de cette métaphore l’évocation du saint Suaire, lequel a transité dans la Collégiale Saint-Étienne ? Cette date marque un tournant dans l'élaboration du culte de sainte Hélène ; le Chapitre a besoin de fonds pour financer les travaux de reconstruction de la cathédrale ; il choisit un nouvel objet de dévotion pour attirer les fidèles et leurs aumônes : les reliques de sainte Hélène d’Athyrium. Or miracle, selon l'expression du doyen Milon et du Chapitre, les reliques de sainte Hélène sont restées intactes, à la suite de cet événement, chaque chanoine fait don d'un setier de froment pour la réparation de la châsse, en témoigne un acte fait le lundi, lendemain de la Quasimodo de l'année 1229[17]. Cette dévotion populaire savamment orchestrée ne peut être l’objet de parjures. Rappelons les faits, en 1209, Jean l'Anglois, chapelain de Garnier de Traînel, apporte à Troyes le corps d'une sainte nommée Hélène dont l'identité inconnue plonge le Chapitre et l'évêque Hervé de Troyes, successeur de Garnier, dans la plus grande perplexité. La confusion semble régner autour de l'identité de cette sainte[18]. Embarrassés par le mystère qui entoure l'origine de sainte Hélène d'Athyra, l'évêque et le Chapitre de Troyes décident de renvoyer Jean l'Anglois à Constantinople pour qu'il y trouve des renseignements sur la vie de cette sainte. Arrivé à Constantinople en 1215, Jean l'Anglois a l'opportunité d'y rencontrer un compatriote, natif du village de Coubetault dans le diocèse de Troyes : un dénommé Angermer, devenu lecteur de l'Église de Chalcédoine. Jean l'Anglois lui demande de faire des recherches sur la vie de cette sainte. Angermer rend compte de son enquête dans une lettre qu'il adresse à l'évêque et au chapitre de Troyes ; très versé dans les lettres grecques, il dit avoir retrouvé, dans les archives des bibliothèques de plusieurs églises, divers traités sur la vie et les actions de cette sainte, entre autre une biographie composée par Jean Chrysostome dont il donne une traduction[19]. On y apprend que la sainte n'est autre que sainte Hélène d'Athyra ou Naturas, ville située à l'ouest de Constantinople au bord de la mer. Cette jeune vierge serait la fille du roi Agiel et de la reine Gratulie. Sa vie, dès sa plus tendre enfance, n'est qu'un tissu de merveilles. Après sa mort, les miracles se poursuivent par l'intermédiaire de ses reliques. Angermer déclare que la ville de Naturas célèbre toujours sa fête le 4 mai mais que ses habitants pleurent encore l'enlèvement des reliques de la sainte. Cette histoire, qu'Angermer aurait traduite en latin à partir d'une composition grecque de Jean Chrysostome, est en fait sortie de son imagination. Force est de constater que le culte de la sainte Hélène résulte de la promotion savante et délibérée d'un évêque et d'un Chapitre dont les finances sont exsangues. Certes, il existe bien un dénommé Jacques Derraill jurant avoir connu la comtesse et que cette dernière a onze ans au début janvier. Preuve incontestable, il a été le premier homme qui la vit. Ce témoignage visuel est essentiel au cours de ce procès en tourbe. Autre témoin, un susnommée Alix formule par son serment et par une charte qu’effectivement Jeanne a onze ans quinze jours avant la Chandeleur, nouvellement passée, donc en 1284, car il la vit se faire baptiser. Alix, dame Dubois, tout comme Michaud, Jean Betassier, tous prêtent serment sur ce sujet. René Acorre, grand argentier de Provins, par conséquent homme à tout point de vue remarquable et respectable, aperçu cette enfant puisque Henri III l'envoya à la guerre et chemin faisant il découvrit cette jeune personne royale sur son chemin dans la vallée de la Seine. À l’image de celui-ci, George de Sézanne jure avoir vu Jeanne au cours du déplacement pour la guerre. On ne peut douter des faits militaires et de ces derniers témoins, ce qui force le respect du tribunal.

Par la multiplicité des témoignages, la foule se fait témoin à l’image de ceux qui jurent validant par leur présence selon la coutume de Champagne, les témoignages qui précèdent. Le maréchal de Champagne, le seigneur Gilles de Brinon, maître parlementaire, le seigneur d'Arcis, le prévôt de Montaigu, le prévôt de Paris, le vidame de Champagne, le seigneur de Malmaison ; maître parlementaire, Jacques Derruy, maître Étienne d’Asnières, le doyen de Bar-sur-Seine, Jean Dorecazier, Jean d'Essonne, le prévôt de la ville de Vienne, monseigneur Gueret d’Agny par charte, maître parlementaire, la charte de Milon de Ferreux, René Acorre, Guillaume de Coicy ; maître parlementaire, la charte de maître parlementaire de Blois, la charte d'Adam de Signy, maître Jean, clerc et bailli de Sens, maître Étienne Becarre, Jean de Bernon, Simon de Concasseur, Robert de Tourotte, maître parlementaire, l'archidiacre d'Auxerre, le sénéchal de Champagne, Jean de Taillefontaine et Florent Deroi : jurent avoir vu et témoignent des faits énoncés concernant la majorité de Jeanne de Navarre. Par cette foule présente, la décision est prise de dire solenellement qu’effectivement Jeanne est de Champagne d’une part, qu’elle entre dans sa douzième année, et de ce fait, peut faire hommage tout comme elle peut recevoir les hommages de ses vassaux. La coutume présentée par la charte de Gilles de Brinon ne fait que confirmer les faits malgré le fait que Jeanne ait reçu l'hommage de ses vassaux avant la procédure des Grands Jours. À la lecture des pratiques coutumières, ces hommages ne peuvent être invalidés.

 Rappelons que la procédure est réalisée en audience publique, elle fait suite à une procédure d’enquête prenant en compte les témoignages de personnalités par le biais des chartulae ou bien chartes. À ces chartes lues publiquement, le juge fait appel aux témoignages à haute voix de personnalités qui se sont déplacées pour les besoins de l'enquête. Par le biais de cette procédure, il est permis d’apprécier des points litigieux sur lesquels les personnalités sont amenées à se prononcer pour permettre au juge de constituer un point coutumier, ce dernier faisant force de loi à partir du moment où la difficulté a été éclaircie. Jean d'Acre, après avoir été bouteiller de France en 1258 auprès de Saint-Louis, puis titulaire d'ambassade auprès du pape Grégoire X en 1272, fut chargé par Edmond de Lancastre d'être la baillistre ou bien tuteur délégué du comte de Champagne durant la minorité de Jeanne, et de gouverner le comté en son nom. De la sorte que cette enquête valorise un des aspects du jurisconsulte au Moyen Age, à savoir pour que soit déclarée comme valable, une pratique coutumière se doit d’être validé dans le domaine des vassaux qui le concerne par un acte signé. La jurisprudence de 1278 n'a pas été validée par les vassaux, d'où cette procédure supplémentaire visuelle et textuelle, où apparaissent non seulement les vassaux mais également les baillis royaux. Ainsi, à la cession des Grand Jours de Champagne, qui se tiennent a Troyes en novembre 1284, apparaissent ces vingt-huit personnes et plusieurs autres indirectement par le biais des chartes.

Par ce procès en tourbe, élément procédurier essentiel, il est fait mémoire et par conséquent validation de ce qui s’est déroulé en la cathédrale Saint-Pierre en 1284 en présence de l’évêque de Langres, à savoir l’hommage lige[20]. Ce dernier permet de cerner la jouissance féodo-vassalique du comté de Bar au sein de la couronne de Champagne. Rappelons, à toutes choses égales par ailleurs, que le « comes Barri super Sequanam est homo ligius domini Campanie, et est ei castellum juratum »[21] depuis 1171. De la sorte que le comte de Bar rend hommage au comte de Champagne pour les terres dont il dispose à son seigneur. La nature de son hommage lige oblige le comte de Bar à supporter le droit militaire au de là des 40 jours, constituant de cette manière un hommage fidèle sans retenu au-delà de l’hommage simple. En jurant fidélité pour le château, le comte de Bar met à sa disposition en tant que propriétaire féodal non seulement son service armé mais aussi sa forteresse au sein d’un ensemble Champenois, offrant une frontière méridionale au comté de Champagne. Or un certain nombre de droits pèsent également sur une partie des terres barséquanaises au profit de l’évêque de Langres c’est la raison pour laquelle ce procès s’est déroulé au sein d’une chancellerie épiscopale jalouse de ses prérogatives terriennes sur notre contrée, offrant un bonheur à l’historien que nous sommes.


[1] Roger, J-M. "A propos d'un anniversaire : l'avènement de Philippe le Bel (1285)" dans La Vie en Champagne, mai 1286, pp. 8-15.

[2] Légèrement ovoide, contrairement aux sceaux ronds usités plus fréquement.

[3] Canton de Dormans, ancienne abbaye de l’ordre de Citeaux, fondée en 1126 dans le diocèse de Reims. Cette institution est sous l’invocation de Notre-Dame.

[4]Arch. dép. Aube, 27 H 3.

[5] Entre les années 1192-1197, Henri II est élu roi de Jérusalem. Il succède à Conrad de Montferrat et précède Amaury de Lusignan.

[6] Traduction « Jeanne, reine de France et de Navarre, comtesse palatine de Champagne qui a fondé ce collège en 1304 ».

[7] Personne manquante.

[8] « Jugement ou bien information concernant l’état de la dite Jeanne en l’année 1283 le samedi, notifié par l’enquête sainte de « non précisé » qui fut comte de Pantin et par maître Guillaume de Poully, préposé du prieuré concernant l’état hériditaire de la Champagne et d’intérroger la coutume de Champagne pour savoir si la comtesse peut faire hommage : nous avons reçu ici les témoignages sur l’état de la comteses de Champagne …».

[9]Réécriture du mot « Saigne », y-a-t-il eu erreur du copiste ? a-t-il écrit «  Aube » dans une premier temps avant de se raviser ? À défaut de l’original, nous devons nous fier au cartulaire, c’est-à-dire à la copie. Toutefois, affirmons que s’il y a eu erreur, c’est celle du copiste dans la chancellerie épiscopale langroise au moment de l’établissement du cartulaire en 1329. Etant donné que le travail des copistes était constamment vérifié, celui a qui incombait cette tâche a du faire corriger le nom propre afin de ne pas léser le sens du document. C’est une démarche assez fréquente, à cette époque on ne jette pas facilement son support, on le gratte pour réécrire.

 

[10] Il s’agit de Jean d’Arcis.

[11] Acte par lequel, une personne se reconnaît être l'homme, c'est-à-dire le vassal d'une autre.

[12] Benton, J-F. « Philipp the Fair and the Jours of Troyes », dans Studies in medieval and Renaissance History, vol. VII, 1969, p. 282.

[13] Vassal du vassal.

[14]Arch. dép. Aube, G 2592.

[15]Desguerrois, M-N.La saincteté Chrestienne, f°345.

Camusat, N. Promptuarium, f° 115-116.

[16] Lalore, C. « Obituaire de Saint-Pierre », dans Collection des principaux obituaire et confraternité du diocèse de Troyes, Troyes, 1882, p. 125., obit de juin.

[17]Desguerrois, M-N.La saincteté Chrestienne, f°345.

[18]Desguerrois, M-N.La saincteté Chrestienne, f° 333-339, traduction de la lettre d'Angermer concernant la vie de sainte Hélène, précédée d'un prologue contenant la missive de Jean Chrysostome.

[19]Camusat, N. Promptuarium, f° 116.

[20] Hommage prêté au seigneur auquel on se doit en priorité.

[21] Arch. nat. P. 1164.